C.F.T.C.

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Le sigle C.F.T.C. représente deux réalités distinctes et cependant unies. La Confédération française des travailleurs chrétiens, c’est d’abord, de 1919 à 1964, l’expression syndicale du catholicisme social en France ; c’est ensuite, après la déconfessionnalisation majoritaire de la centrale, le rameau qui entend maintenir le mouvement professionnel d’inspiration chrétienne.

Du S.E.C.I. à la déconfessionnalisation

Plusieurs essais de syndicalisme chrétien sont observés au milieu des années 1880, dans le Nord et à Lyon. Le point de départ habituellement retenu est 1887, avec la création du Syndicat des employés du commerce et de l’industrie. Le S.E.C.I. a été fondé sur l’initiative du frère Hiéron, de la Congrégation des frères des écoles chrétiennes. Le pape Léon XIII avait chargé l’ordre de bâtir un syndicalisme chrétien pour éviter que la loi Waldeck-Rousseau de 1884, qui établit la liberté des groupements professionnels, ne serve les seuls intérêts des francs-maçons.

Les premiers adhérents du S.E.C.I. sont tous membres d’une association religieuse: l’Association de Saint-Labre. L’assemblée constitutive fixe comme condition à l’affiliation le fait d’être «notoirement catholique» et d’honorer sa foi par une bonne réputation. Plus amicale que syndicat au départ, le S.E.C.I. densifie progressivement son action à mesure que ses dirigeants prennent conscience que le sort des employés est attaché au salariat. En 1907, trois hommes accèdent à la tête du groupement, Jules Zirnheld, Charles Viennet et Gaston Tessier: ils accroissent son originalité en prenant leurs distances vis-à-vis de la droite catholique.

D’une vingtaine de membres au départ, le S.E.C.I. atteint les 2 500 en 1903, les 5 000 en 1909, et en compte 7 175 en 1913. La croissance parisienne du syndicat s’accompagne de la formation d’autres organisations similaires à Lille, Lyon, Le Mans, Laval, Toulouse et Bordeaux. L’ensemble de ces forces se retrouve en 1913 dans la Fédération des syndicats professionnels d’employés du commerce et de l’industrie qui déclare 13 000 adhérents. La Première Guerre mondiale arrête cette progression.

De nouvelles perspectives apparaissent au lendemain du conflit. Des hommes sont tombés au combat, comme Charles Viennet. La révolution de 1917 provoque une réaction chez les catholiques sociaux, qui décident de mettre sur pied une Confédération internationale des syndicats chrétiens. Marc Sangnier révise son option en faveur de l’engagement des catholiques à la C.G.T. et apporte son appui au syndicalisme confessionnel. Le recouvrement de l’Alsace-Lorraine fournit un apport de 21 000 syndiqués «indépendants».

Les 1er et 2 novembre 1919 se tient à Paris un congrès constitutif, qui rassemble des délégués représentant environ 125 000 adhérents à une organisation professionnelle confessionnelle. Trois secteurs dominent: les employés, l’enseignement libre et les cheminots. Quatre régions pèsent de tout leur poids: l’Alsace-Lorraine, la Franche-Comté, la Champagne et l’Isère. À cet ensemble un peu disparate s’ajoutent des syndicats isolés et deux confédérations de syndicats féminins. Les débats manifestent des sensibilités distinctes. La Confédération française des travailleurs chrétiens est créée. Elle ne se déclare pas officiellement catholique. L’article premier de ses statuts, adoptés en 1920, précise: «La confédération entend s’inspirer dans son action de la doctrine sociale définie dans l’encyclique Rerum novarum .» Dans son organisation interne, la C.F.T.C. se donne pour principe de respecter l’autonomie de ses composantes et d’assurer leur convergence.

La centrale confessionnelle, dirigée par Jules Zirnheld, président, et Gaston Tessier, secrétaire général, croît jusqu’en 1921 et connaît un creux par la suite. Elle ne progressera à nouveau qu’à partir de 1931. Entre-temps, un effort d’organisation avait contribué à consolider les traits qui sont caractéristiques de la C.F.T.C. de l’entre-deux-guerres. La Fédération des employés sert de colonne vertébrale à l’organisation. L’Alsace-Lorraine, le Nord, le Doubs, Paris, Lyon, Saint-Étienne et Marseille forment les bastions d’un mouvement marqué par une conscience régionaliste. Un réseau d’œuvres catholiques conforte l’action des syndicalistes chrétiens, qui bénéficient tout particulièrement du soutien intellectuel apporté par les Semaines sociales et les jésuites de l’Action populaire. L’existence de syndicats féminins distincts assure l’expression d’un féminisme spécifique. La centrale dispose enfin d’un relais parlementaire, Camille Bilger et Henri Meck jouant un rôle décisif en ce domaine.

Pendant l’entre-deux-guerres, la C.F.T.C. subit deux épreuves. En premier lieu, elle est attaquée à Rome par le patronat textile du Nord. Eugène Mathon dépose plainte en 1924 et en 1926 auprès de la Sacrée Congrégation du concile. La réponse du Vatican, en date du 5 juin 1929, rejette l’accusation de déviation marxiste portée contre la centrale et approuve au contraire son esprit et son action, dans une logique qui prolonge la condamnation de l’Action française en 1926. La seconde menace provient de la crise économique, qui durcit les rapports sociaux, favorise la réunification de la C.G.T. et met en péril l’existence de la confédération. Face au danger soit de marginalisation, soit d’absorption, l’organisation de Jules Zirnheld réagit de manière dynamique: elle assure sa présence sur le terrain et énonce des propositions originales. Alors que la centrale s’est opposée aux grèves de 1919 et 1920, elle accepte que ses adhérents et ses militants participent aux conflits d’entreprises, notamment celui des Forges et Acieries de la marine à Saint-Chamond en 1935, et aux occupations d’usines en 1936. Elle publie en janvier 1936 son Plan , qui propose une restructuration de la société par la mise en place d’instances représentatives à tous les niveaux de l’économie et par l’établissement d’un réseau serré de conventions collectives.

Écartée des accords Matignon, la C.F.T.C. connaît paradoxalement un afflux d’adhérents. Lassés de l’autoritarisme de la C.G.T. que Simone Weil décrit bien dans La Condition ouvrière , de nombreux travailleurs rejoignent les rangs de la centrale confessionnelle. Une directive générale confidentielle du 21 novembre 1937 fixe le comportement à adopter. L’élargissement du recrutement est accepté à condition de favoriser la syndicalisation de «la masse syndicale nettement chrétienne», d’éviter «toute propagande dans des associations ou ligues à tendances nettement politiques» (autrement dit le noyautage du Parti social français du colonel de La Rocque) et d’intensifier la formation des cadres «suivant les données établies par la commission [confédérale] de formation».

L’avènement du régime de Vichy, approuvé par la hiérarchie catholique, place la C.F.T.C. dans l’embarras. Elle se reconnaît dans de nombreuses orientations du maréchal Pétain: la restauration de la famille, l’appui donné à l’enseignement confessionnel, l’instauration de la paix sociale. En revanche, elle est hostile à la formule du syndicat unique. Aussi, lorsque la C.F.T.C. est dissoute avec les autres confédérations syndicales le 3 novembre 1940, Jules Zirnheld, Gaston Tessier et Maurice Bouladoux s’y opposent-ils. Le 15 novembre, ils publient avec neuf dirigeants de la C.G.T., dont Léon Jouhaux, Le Manifeste des douze , qui présente la voie constructive dans laquelle le syndicalisme français s’engagerait si le pluralisme était respecté. La Charte du travail bloque cette issue. La majeure partie de la C.F.T.C. s’engage dans la Résistance, et Gaston Tessier siégera ès qualités à son comité national (C.N.R.). D’autres militants apporteront jusqu’au bout leur concours à la révolution nationale et, à la Libération, huit responsables du courant chrétien seront exclus à vie du mouvement syndical par la commission d’épuration.

Le programme d’action adopté par le XXIe congrès de la C.F.T.C. en septembre 1945 reprend sans variation la formulation des principes de la centrale: primauté de la personne, antériorité de la famille sur la société, rôle subsidiaire de l’État, droit de propriété, collaboration des classes. Les premiers débats de la confédération manifestent cependant l’émergence d’un courant qui entend modifier profondément les perspectives de la centrale. Il prend appui sur des militants de la Jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.), établie en France depuis 1927 et dont l’influence commence à se faire sentir. Les militants du Syndicat général de l’éducation nationale, fondé en 1937 par Paul Vignaux sur une base non confessionnelle, plaident pour l’extension de leur position à toute la centrale. L’expérience de la Résistance a disqualifié l’Église et le patronat, et favorisé le rapprochement avec la C.G.T.

Ceux que l’on appellera les «minoritaires» réclament le non-cumul des mandats politiques et syndicaux, l’instauration du fédéralisme d’industrie, la sortie de la Confédération internationale des syndicats chrétiens et la déconfessionnalisation au profit d’un socialisme démocratique. Ils ne se distinguent guère de la majorité sur les nationalisations et sur le régime général de la Sécurité sociale, que la C.F.T.C. combat au début. Pour mieux résister à l’offensive de la C.G.T. en faveur de l’unité organique, Gaston Tessier commence par effectuer des concessions. Il admet en 1946 le non-cumul des mandats, ce qui distancie un peu la C.F.T.C. du Mouvement républicain populaire. Il accepte en 1947 une révision des statuts, l’évocation des «principes de la morale chrétienne» se substituant à la référence à la doctrine définie dans Rerum novarum .

Les élections du 24 avril 1947 pour les caisses de Sécurité sociale ont confirmé la représentativité de la C.F.T.C. La scission de la C.G.T. à la fin de l’année achève de modifier le rapport de forces. Gaston Tessier estime que l’heure du «resserrement» a sonné pour sa centrale. Le 3 septembre, le secrétaire général réclame la disparition de la revue Reconstruction , que Paul Vignaux avait créée en 1946 avec des militants ouvriers et qui nourrissait l’inspiration des minoritaires. Ceux-ci vont faire preuve d’obstination, d’un grand sens tactique, d’un dynamisme sans comparaison avec celui de leurs adversaires affaiblis par l’aide qu’ils ont apportée au gouvernement Laniel lors de la grève du secteur public en 1953. De conflits en crises, ils obtiennent en 1953 et en 1957 une modification, qui leur est favorable, des règles de représentation dans les instances dirigeantes. La part qu’ils prennent dans les luttes sociales, comme à Saint-Nazaire en 1955, le rôle qu’ils jouent dans les négociations professionnelles, par exemple celle qui porte sur l’extension et l’harmonisation des systèmes de retraite complémentaire en 1957, accroissent leur autorité dans un mouvement qui s’émancipe de la tutelle de la Fédération des employés et adopte progressivement leurs thèses. Le XXXe congrès, en 1959, consacre l’idée de planification démocratique. L’opposition à la guerre d’Algérie renforce l’aile gauche de la C.F.T.C. En 1961, Eugène Descamps, membre actif de la minorité, accède au secrétariat général et, en 1964, un congrès extraordinaire modifie les statuts et le sigle de la confédération. Une majorité de 70 p. 100 des mandats «déconfessionnalise» la C.F.T.C. et la transforme en Confédération française démocratique du travail.

La C.F.T.C. d’après 1964

Quittant la présidence de la C.F.T.C. dont il refusait l’évolution, Gaston Tessier déclarait, dans le discours de clôture du congrès de 1953: «Dans le désarroi du monde contemporain, nous avons la chance unique de posséder une doctrine sûre, résumée par un article premier des statuts, auquel, tous, vous avez déclaré être fidèles.» L’inquiétude perçait sous le rappel, apparemment confiant, du consensus interne. Elle s’amplifie chez les militants attachés au syndicalisme chrétien après le retrait du fondateur. À la fin de 1955, des rencontres se tiennent, rue Saint-Guillaume, dans les locaux du secrétariat social de Paris. En 1956 paraît une revue: Les Équipes syndicales chrétiennes . Six ans plus tard, un Manifeste programme pour la C.F.T.C. , assez largement diffusé, est signé par une vingtaine de responsables, dont Jean Bornard et Joseph Sauty, mais non Jacques Tessier, pour rendre le texte plus acceptable. Le contre-feu à l’élection d’Eugène Descamps se renforce: une Association des groupes d’études économiques, sociales et syndicales d’inspiration chrétienne (A.G.E.S.S.I.C.) est fondée en 1963. Elle servira de vecteur à l’opposition au changement de la C.F.T.C. en C.F.D.T. Le 7 novembre 1964, au soir du vote qui a consacré la déconfessionnalisation, quatre cents délégués se réunissent au Musée social pour continuer la C.F.T.C.

Les nouveaux minoritaires regroupent environ 10 p. 100 des adhérents, principalement dans les mines, l’enseignement privé, l’alimentation et les banques, avec trois zones géographiques dominantes, l’Alsace, le Nord et Paris. La nouvelle direction, avec Joseph Sauty comme président et Jacques Tessier comme secrétaire général, s’attelle à la reconstitution de l’organisation. Un an après la scission, la C.F.T.C., qui est à l’époque qualifiée de «maintenue», fait état de 18 unions départementales, 7 unions régionales et de 27 fédérations. Un arrêt du Conseil d’État reconnaît la représentativité nationale du mouvement en 1970. La propriété du sigle C.F.T.C., qui était contestée par la C.F.D.T., lui est attribuée par un modus vivendi qui intervient en janvier 1971.

Joseph Sauty meurt en 1970. Jacques Tessier lui succède et Jean Bornard accède à son tour à la présidence de la C.F.T.C. en 1981. Des turbulences surviennent encore au sein de l’organisation: elle a dû se séparer du Syndicat des aiguilleurs du ciel, trop corporatiste, ou de dirigeants de la Fédération du bâtiment, trop intégristes. Elle joue un rôle actif dans la gestion de la Caisse nationale des allocations familiales et entretient des relations privilégiées avec le mouvement polonais Solidarno ごが. Elle a pris une part décisive à la lutte pour la défense de l’école privée en 1983-1984. Réintégrée en 1983 à la Confédération mondiale du travail, l’ancienne Confédération internationale des syndicats chrétiens, la C.F.T.C. récupère, vingt ans après la scission, l’ensemble des attributs d’une centrale interprofessionnelle. D’effectifs réduits et d’audience restreinte, la «nouvelle» C.F.T.C. fait entendre dans le concert social la voix du catholicisme social traditionnel.

C. F. T. C. [seɛftese] n. f.
ÉTYM. 1964; sigle.
Confédération française des travailleurs chrétiens.
tableau Abréviations les plus usitées.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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